LES INITIATIVES DE GRATUITE RISQUENT DE PLOMBER LA CMU.

Publié le par Joseph L. Daour Badji

En parlant de couverture maladie universelle, certains  techniciens du ministère de la Santé et de l’Action Sociale insistent davantage sur la facilitation de l’accès des populations aux services de santé, en minimisant  la question du financement, qui est au cœur de la problématique. Or, il va de soi qu’une condition essentielle d’atteinte des OMD et de mise en œuvre progressive de la CMU est l’augmentation significative du financement dévolu à la santé.  On ne peut, dès lors, que déplorer le fait que la part du budget national réservée au secteur de la Santé n’atteigne pas encore les 15%, conformément à l’engagement des pays membres de l’Union Africaine au sommet d’Abuja en 2001. C’est la raison pour laquelle, les travailleurs de la Santé restent sceptiques devant l’extension des ruineuses initiatives de gratuité à de nouvelles cibles (enfants de 0 à 5ans) et à de nouvelles zones géographiques (département de Dakar pour les césariennes). Ces nouvelles mesures ainsi que le plan Sésame risquent de conduire à un échec programmé de la couverture maladie universelle, pierre angulaire de la politique sanitaire du gouvernement sénégalais, depuis l’accession du président Macky Sall à la magistrature suprême.

DES ETABLISSEMENTS DE SOINS CONFRONTES A DE SERIEUSES DIFFICULTES FINANCIERES

 En effet, il est de notoriété publique que les structures sanitaires de notre pays sont confrontées, depuis plusieurs années à d’énormes difficultés de financement. La gestion des hôpitaux publics, encore appelés établissements publics de santé, subit les contrecoups d’une mauvaise allocation budgétaire ne reposant pas sur des critères rigoureux, d’une masse salariale colossale, d’un système indemnitaire onéreux et d’initiatives telles que le plan sésame ou la gratuité des césariennes, à l’origine de l’immense dette hospitalière, qui reste à être résorbée. En outre, depuis la réforme de décentralisation de 1996, les structures sanitaires  peinent à disposer de leurs fonds de dotations logés au niveau des collectivités locales. Il faut également signaler que certains centres de santé, tels que ceux dépendant de la Ville de Dakar  ne disposent même pas de budget de fonctionnement propre et doivent se contenter d’une dotation annuelle en médicaments d’au plus trois millions, si on fait abstraction des produits d’entretien et matériel de bureaux soustraits des fonds de dotation des districts.

En 2005 déjà, l’étude de la structure du financement du système de santé révélait qu’elle était dominée parles fonds privés dont les 9/10 provenaient des ménages. Elle montrait également que les fonds publics ne constituaient que 36% de la totalité des fonds dévolus à la Santé, à côté des fonds privés et ceux provenant du reste du monde.

Toutes ces contraintes (non disponibilité des budgets, non maîtrise des dépenses) ont conduit à une situation paradoxale, où l’apport de l’Etat, qui était prédominant dans le financement du Secteur, tend de plus en plus à être supplanté par les recettes issues de la participation des populations à l’effort de santé, qui tendent à être majorées pour pallier les défaillances de l’Etat.

Cela démontre à suffisance le caractère insignifiant des ressources allouées par l’Etat pour le fonctionnement des structures sanitaires, qui ne survivent que grâce aux fonds provenant des recettes issues de la participation financière à l’effort de santé et à l’esprit d’initiative des responsables en charge des établissements de soins.

DES INITIATIVES POUR REMEDIER AUX DEFAILLANCES DE L’ETAT CENTRAL

C’est ainsi que pour remédier aux manquements de l’Etat central, les équipes de district et de centres de santé ont pris diverses initiatives (recrutements de personnels vacataires, acquisition d’équipements médicaux, achat de médicaments de spécialités non disponibles au niveau de la pharmacie IB, voire travaux de génie civil) sur la base des recettes générées par le fonctionnement des structures et gérées par les comités de santé. Cela a permis de relever très sensiblement le plateau technique de plusieurs centres de santé, en y instituant des consultations spécialisées (cardiologie, pédiatrie, urologie, ORL, ophtalmo…), ce qui n’entre pas dans le cadre des prérogatives qui leur sont attribuées. Par ailleurs, dans le domaine de la santé maternelle, le fonctionnement de blocs opératoires prenant en charge les césariennes n’a été possible dans les centres de santé que grâce à un mécanisme de recouvrement de coûts permettant de contractualiser avec des personnels supplémentaires, d’acquérir dans le privé des intrants et des médicaments d’urgence pour renforcer les kits, sans oublier l’achat de l’oxygène.

LES INITIATIVES DE GRATUITÉ, FAUSSE SOLUTION A DE VRAIS PROBLEMES

Même si dans le principe, les initiatives de gratuité peuvent effectivement contribuer à faciliter l’accès des populations aux soins, il faut reconnaître qu’elles doivent s’intégrer dans un contexte global, où les budgets dévolus à la santé parviennent aux structures et  leur permettent de faire face à leurs dépenses essentielles de fonctionnement, ce qui est loin d’être le cas actuellement. Il faudra également éviter de sous-estimer la charge de travail et les frais d’administration liés à ces initiatives de gratuité (saisie, photocopie) dont se plaignent de plus en plus les infirmiers-chefs de poste, surveillants et majors de services. Il convient également de déplorer l’absence de concertation dans la détermination des tarifs de prestations, alors même qu’il est prévu la signature de conventions entre les autorités administratives d’une part et les représentants des comités de santé ou des établissements publics de santé de l’autre.

Dans  le passé, les responsables des structures de santé ont fait l’amère expérience de promesses de remboursement non tenues (par défaut de liquidités au  niveau du Ministère des Finances), comme le confirme le retard à la résorption totale de la dette hospitalière depuis quelques années. Concernant les césariennes et le plan Sésame (pour les centres de santé), les remboursements se font tardivement (ou pas du tout) et sous forme de médicaments ou de kits ″dévalués″, ne répondant pas aux normes usuelles.

Autant dire que ces initiatives de gratuité désarticulées risquent de plomber  le fonctionnement des structures sanitaires et de compromettre la mise en place d’une véritable assurance santé. En effet, seule une  réforme profonde des modalités de financement du système sanitaire telle qu’elle peut être réalisée avec la couverture maladie universelle, qui prône la mise en place d’un système mutualiste, pourrait permettre de rétablir l’équilibre budgétaire d’établissements de soins, dont la plupart sont déjà endettés, leur permettant alors de faire face à leurs multiples charges (motivations des ASC, salaires des techniciens vacataires, achat de médicaments, de réactifs de laboratoires, d’anesthésiques, d’oxygène …).

Cette hantise de la gratuité, aux relents populistes et politiciens  remonte au discours présidentiel à la Nation du 03 avril 2006, à la veille des élections présidentielles de 2007 et fut marquée par l’annonce de la gratuité des soins pour les personnes âgées de plus de 60 ans.

Et pourtant, les exemptions de paiement ont toujours eu cours dans le système sanitaire sénégalais. L’article 8 du décret  60-245, portant réglementation des secours dans la  République  du  Sénégal,  définit le secours-maladie comme étant «une aide au remboursement des frais médicaux et pharmaceutiques lorsque ceux-ci sont hors de proportion avec les ressources du demandeur et que ce dernier ne bénéficie pas d’autre part d’une assistance médicale ».

 Plus tard apparurent les certificats d’indigence, délivrés par autorités administratives compétentes, de même que les Maires des communes, qui donnaient droit à des exemptions de paiement au niveau des structures publiques de santé.

Plus récemment, la loi N° 96-07 sur la décentralisation a donné  aux collectivités locales la compétence pour tout ce qui a trait à l’organisation et à la gestion des secours au profit des nécessiteux et créé une ligne budgétaire pour cette rubrique, qui ne concerne certes pas uniquement la santé.

Enfin, la Direction de l’Action Sociale a mis en place, depuis 2003, une rubrique budgétaire utilisée comme fonds de solidarité pour assistance aux cas sociaux. Elle a signé, à cet effet, des conventions de prestations avec la quasi-totalité des grands hôpitaux nationaux. 

Dans les structures sanitaires elles-mêmes, des dispositifs sont mis en place pour assister les personnes les plus démunies. Ainsi, les services sociaux des hôpitaux disposent d’un budget leur permettant de prendre en charge tout ou partie des dépenses de prestations des patients identifiés comme cas sociaux. Pour les centres de santé et les postes de santé, une note de service n°006058/MSPM/DS/DSSP du 6 septembre 2005 rappelle une disposition du guide national du comité de santé qui stipule, que 10% des recettes issues des prestations doivent être réservées à la prise en charge des cas sociaux et que 5% des bénéfices réalisés sur la vente de médicaments doivent être affectés à la solidarité.

Le plan Sésame, doté d’une enveloppe financière de moins d’un milliard, bien qu’accueilli avec enthousiasme, par les personnes du troisième âge, marquera une nouvelle étape dans la précarisation du financement du système sanitaire déjà soumis à rude épreuve par le transfert des fonds de dotation aux collectivités locales. Il a été  reproché à ce plan un défaut de ciblage. Dans les faits, les personnes âgées des centres urbains auraient davantage bénéficié de cette initiative que celles du monde rural à l’intérieur du pays. Plus grave, les retraités du FNR et ceux de l’IPRES, de riches commerçants et hommes d’affaires, des diplomates retraités, des émigrés disposant d’assurance-maladie privée auraient été plus nombreux à solliciter le plan Sésame par rapport aux artisans, pêcheurs, paysans, pasteurs et autres personnes à leurs frais.   

La délivrance des lettres de garantie et  des bulletins de référence relève des médecins-chefs de district alors qu’ils ne disposent d’aucun moyen d’identification des bénéficiaires, qui sont le plus souvent suivis et traités par des spécialistes officiant dans les hôpitaux de niveau 3.

Le flou artistique entretenu sur la question du ciblage, le non-respect de la pyramide sanitaire et des zones de responsabilité laissent la porte ouverte à toutes sortes d’abus et de fraudes, dont les autorités ministérielles semblent royalement se désintéresser.

Le plan Sésame, la gratuité des soins pour les enfants de 0 à 5 ans et la généralisation de la gratuité des césariennes partent, certes, de nobles intentions, à savoir la réduction des obstacles financiers aux soins de santé pour les personnes âgées, la mère et l’enfant avec l’espoir de faire baisser la mortalité des personnes âgées ainsi que celles maternelle, néonatale et infantile. Mais elles se révèlent onéreuses, car il s’agit de prodiguer quotidiennement des soins gratuits à plus de 25% de la population générale, qui se trouve précisément être celle qui fréquente le plus les structures sanitaires (personnes âgées de plus de 60 ans, les enfants de moins de cinq ans et les femmes enceintes), sans aucune garantie de recouvrement de fonds, car l’exemple du plan Sésame est là pour montrer qu’il y a toujours un net décalage entre les déclarations officielles et la réalité des faits.

LA SEULE VRAIE SOLUTION RESIDE DANS LE DEVELOPPEMENT DE LA MUTUALITE ET DES AUTRES FORMES D’ASSURANCE-MALADIE.

Il est évident, au-delà des ″retombées politiques″ attendues à court terme, qu’un accès à des soins de santépromotionnels, préventifs, curatifs et de rééducation est conditionné par un système de financement adéquat, permettant aux usagers de bénéficier du maximum possible de soins dont ils ont besoin, au moment voulu. Occulter cette réalité risque, dans le meilleur des cas, de faire de la CMU unanimement appréciée par la communauté nationale, une sorte d’initiative plus ruineuse que profitable, en somme, une sorte d’éléphant blanc. Mais plus grave, les acquis engrangés par le système national de santé pourraient même être remis en cause et conduire à une détérioration des principaux indicateurs de santé, nous éloignant de l’atteinte des OMD.

C’est pourquoi, la seule solution d’avenir  consistera à mettre en place des mutuelles qui cibleront prioritairement les acteurs du secteur informel et/ou habitants des quartiers populaires ou des villages, qui souffrent le plus d’exclusion par rapport à l’accès aux soins. Il faudra également s’atteler à développer une « culture mutualiste », à contre-courant des réflexes de « délégation de pouvoir » entretenus au sein des masses populaires, depuis l’accession de notre pays à la souveraineté nationale. Il s’agira aussi développer les relations entre les mutuelles de santé et les prestataires de soins d’une part et les élus locaux de l’autre. Il faudra saisir l’opportunité de la départementalisation prochaine pour une mise en réseau des mutuellesdans le cadre de la mise en œuvre du Projet ‘’Décentralisation et extension de la couverture maladie (DECAM), permettant une prise en charge des gros risques (hospitalisation, radiologie, analyse …).

Il doit être clair, pour les pouvoirs publics, que le développement du mouvement mutualiste na saurait obéir à des injonctions ministérielles ou présidentielles, mais devrait plutôt reposer sur des principes tels que "la solidarité, le fonctionnement démocratique et participatif, l’autonomie et la liberté, l’épanouissement personnel, le but non lucratif et la responsabilité". Il s’agit d’un mouvement social, dont les membres sont engagés dans un processus de développement individuel et collectif.

Il doit donc s’intégrer dans un mouvement d’ensemble de responsabilisation des communautés de base, qui transcende les échéances électorales et les basses préoccupations électoralistes.

Dr Mohamed Lamine LY

Médina-Rassmission

Références :

  1. Cellule d’appui au financement de la sante et au partenariat (CAFSP) : Comptes nationaux de la santé du Sénégal ; année 2005 

  2. Concertations Nationales sur la Santé et l'Action Sociale  : Prise en charge des indigents et des groupes vulnérables
  3. Mutuelle de Santé Régionale de Sikasso : Introduction à la mutualité de santé
  4. STEP : Guide de gestion des mutuelles de santé en Afrique
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